Il y règne une atmosphère de déjà-vu… C’est l’histoire d’un opticien, de sa femme et d’un médecin qui risquent aujourd’hui des peines de prison pour avoir exercé illégalement le métier d’audioprothésiste et fraudé les CPAM de la Marne, Haute-Marne pendant six années , Ardennes et Meuse pour un montant de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Au cours de l’audience, qui a duré plus de six heures, les prévenus ont usé de la stratégie de la patate chaude pour leur défense, s’accusant mutuellement : le médecin rendait service, Madame n’était que l’artiste de son ex-mari, Monsieur ne faisait qu’appliquer la volonté du Optical Center pour développer la filière audio dans ses centres, même sans audioprothésiste. Ni l’un ni l’autre n’ont eu de contact avec les patients et l’ont délégué à leurs subordonnés, afin qu’ils ne puissent être tenus pour responsables des pratiques illégales… Quant au préjudice de la CPAM, l’opticien le rejette sur la base du fait que des prothèses auditives ont bien été livrées… « mais sans garantie que le travail a été effectué correctement et, surtout, en oubliant que l’assurance maladie conditionne ses remboursements aux réglages effectués par un audioprothésiste qualifié », note Maître Luc-Marie Augagneur, avocat du SDA.
Nul n’est censé ignorer la loi
Les accusés ont également eu recours à un manque de clarté dans la loi qui les a empêchés de déterminer ce qui constitue un exercice illégal. « Je ne me suis pas posé la question car je n’imaginais pas qu’on puisse être en France illégalement pendant six ans sans que personne ne s’en aperçoive », a déclaré à nos confrères de L’Union, le médecin, avec une franchise déroutante. Confronté au juge qui s’étonnait d’avoir touché 100 000 € en six ans sans jamais se rendre dans des centres d’optique, le médecin s’est défendu en expliquant que « pour gagner 250 000 € par an, ce petit montant mensuel n’aurait pas d’importance et qu’il n’y voyait aucune responsabilité, qu’il rendait simplement service aux opticiens qui ne pouvaient pas trouver d’audio. » Ajoutant que « c’est un métier où il n’y a pas de risques, c’est l’IT qui fait tout, il suffit d’appuyer sur un bouton ». En réponse à l’avocat adverse, le gérant précise que « le seul risque est de se percer le tympan »…
Les prévenus ont également tenté d’expliquer le recours à ce dispositif par un contexte de pénurie d’audioprothésistes qualifiés en France. « Comme si les besoins justifiaient les moyens », dit Maître Augagneur. Cela reviendrait à ce que chacun dans les déserts médicaux ait le droit de s’improviser médecin pour répondre à la demande… »
Le SDA, partie civile
Le SDA s’est joint au droit civil dans cette affaire pour « défendre l’intérêt collectif de la profession d’audioprothésiste et obtenir réparation des préjudices résultant de l’exercice illégal de la profession d’audioprothésiste par les prévenus poursuivis à ce titre ». Selon Maître Augagneur, les poursuites judiciaires pour exercice illégal du métier d’audioprothésiste sont encore rares, mais « cela ne correspond pas à la réalité », dit-il, citant l’exemple de Moovaudio et « d’autres ».
Le procureur de la République a requis trois mois de prison avec sursis et 15 000 € d’amende pour le médecin, six mois de prison avec sursis et 10 000 € d’amende pour l’opticien, et trois mois et 3 000 € d’amende pour son ex-femme. Selon nos informations, le représentant du parquet a également requis des sanctions à l’encontre des entreprises : 60 000 € d’amende et retenue des sommes saisies, soit un peu plus de 500 000 €, avec remboursement à la CPAM des sommes indues ( 382 000 € ). Soit près d’un million d’euros au total. Les délibérations sont attendues le 22 mars.